Felipe Calderon est proclamé président du Mexique
LE MONDE | 06.09.06 | 14h50 • Mis à jour le 06.09.06 | 14h50
MEXICO CORRESPONDANTE
Après deux mois de contestations, le Mexique a enfin un président élu : mardi 5 septembre, le Tribunal électoral fédéral a proclamé, à l’unanimité, la victoire du conservateur Felipe Calderon, avec une avance de 234 000 voix sur le candidat de la gauche, Andres Manuel Lopez Obrador. Mais celui-ci veut l’empêcher de gouverner et appelle à “refonder la République”.
Devant ses partisans, réunis à Mexico sous une pluie battante, sur la place historique du Zocalo où ils campent depuis des semaines, M. Lopez Obrador a rejeté le verdict du tribunal : “Je ne reconnais pas quelqu’un qui prétend agir comme le titulaire de l’exécutif fédéral, sans légitimité”, a-t-il déclaré, accusant les magistrats de ne pas avoir eu le courage “de juger en hommes libres”. Celui que les médias mexicains surnomment “AMLO” propose de former un “gouvernement de résistance civile pacifique” lors d’une “Convention nationale” convoquée le 16 septembre à Mexico.
“Au diable leurs institutions !”, s’est-il écrié lors de son “assemblée informative” quotidienne, le 2 septembre : une petite phrase très critiquée par ses adversaires, qui y voient un défi à l’ordre républicain. Un commentateur du quotidien El Universal croit même assister à “la naissance d’un “sous-commandant AMLO”“ - en allusion au chef des zapatistes, le “sous-commandant” Marcos.
M. Lopez Obrador est convaincu que le scrutin présidentiel du 2 juillet a été entaché de fraudes, même si les autres forces politiques et les observateurs internationaux lui ont délivré un satisfecit. Pourtant, il ne remet pas en cause la tenue, le même jour et dans les mêmes bureaux de vote, de l’élection législative, qui a fait de son Parti de la révolution démocratique (PRD) la deuxième force du Congrès après le Parti d’action nationale (PAN) de M. Calderon, tandis que le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), longtemps hégémonique, doit se contenter de la troisième place.
Sur 300 pages, le Tribunal électoral fédéral relève des irrégularités dans certains bureaux de vote, et fustige l’intervention excessive de l’actuel président, le conservateur Vicente Fox (PAN), dans le cours de la campagne. Il conclut toutefois que ces incidents ne suffisent pas pour invalider l’élection. Le PRD et ses alliés avaient réclamé en vain, tout l’été, un nouveau dépouillement global des voix, n’obtenant qu’un décompte partiel.
Malgré ce dénouement juridique, le climat politique reste tendu et rien n’exclut qu’il puisse encore se détériorer. Les députés de gauche ont montré leur détermination en occupant la tribune du nouveau Congrès, lors de la session inaugurale du 1er septembre, afin d’empêcher tout membre du PAN - y compris le président Fox - de s’y exprimer. Les élus de Convergence, une formation alliée du PRD durant la campagne électorale, ont refusé de s’associer à ce coup d’éclat inédit au Mexique. Leur parti vient d’accepter la décision du Tribunal électoral fédéral.
M. Calderon tient un langage conciliant. Le président élu, qui prendra ses fonctions pour six ans le 1er décembre, a lancé un appel à surmonter les divisions, annonçant qu’il comptait intégrer à son programme de gouvernement nombre de propositions de la gauche : “Nous pouvons penser différemment, mais nous ne sommes pas ennemis”, a-t-il assuré à ses adversaires politiques, car les “seuls vrais ennemis (des Mexicains) sont le chômage et la pauvreté”.
PROMESSES DE DIALOGUE
Cet avocat de 44 ans, fort d’une expérience parlementaire et ministérielle, est en mesure de construire une majorité grâce à la coopération du PRI. Il a ainsi des chances de faire passer les réformes qui sont restées bloquées durant le mandat de M. Fox. Selon un récent sondage, M. Calderon obtiendrait 54 % des suffrages contre 30 % à M. Lopez Obrador si l’élection devait se répéter aujourd’hui.
Ses promesses de dialogue se heurtent néanmoins à l’hostilité du mouvement soudé autour d’”AMLO”. Sous les tentes dressées depuis fin juillet dans le centre de Mexico, ses fidèles sont peut-être moins nombreux, mais prêts à le suivre jusqu’au bout. Tel ce groupe de mères du quartier Cuauhtemoc, installées sur l’élégante avenue Reforma. “Nous sommes la majorité dans ce pays, insiste Carmen Martinez : nous allons mener la vie dure à “ceux d’en haut”, à ces entrepreneurs et politiciens qui tirent les ficelles.” La jeune Lucia Juarez lit à haute voix l’article 39 de la Constitution, qui reconnaît au peuple “à tout moment, le droit inaliénable de changer la forme de son gouvernement”.
Le 16 septembre, “AMLO” espère rassembler un million de manifestants. Ce jour de fête nationale, l’armée défile dans le centre-ville. Elle a déjà fait savoir qu’elle ne modifierait pas son itinéraire habituel, qui passe par l’avenue Reforma.
Joëlle Stolz
Article paru dans l’édition du 07.09.06